L’affaire de l’interdiction des puffs suit son cours dans le cadre de la procédure accélérée d’adoption du texte demandée par le Gouvernement le 16 novembre 2023.
Lundi 4 décembre 2023, l’Assemblée nationale adoptait en première lecture en séance publique, et à l’unanimité par les 104 députés présents, la proposition de loi transpartisane pour « interdire les dispositifs électroniques de vapotage à usage unique ». Cette proposition de loi a ensuite été transmise pour être débattue au sein du Sénat.
Le 7 février dernier, le Sénat a adopté en première lecture, à l’unanimité, mais avec modifications, cette proposition de loi. Que prévoit le texte ? Quelles sont les prochaines étapes de la procédure accélérée ? Quelles conséquences attendre de cette mesure ? Par ici pour un point complet.
Un projet de loi soutenu par la ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin
L’interdiction des cigarettes électroniques puffs, inscrite au plan antitabac 2023-2027, était un sujet cher à François Braun, puis à Aurélien Rousseau, au ministère de la santé. Transmis de successeur en successeur, il est parvenu jusqu’à Catherine Vautrin, l’actuelle ministre du Travail et de la Santé nommée par Gabriel Attal le 11 janvier 2024, qui s’est révélée elle-même être très favorable à la proposition de loi transpartisane votée au préalable à l’Assemblée, en déclarant :
« Le marketing de ces produits – couleurs, saveurs, prix bas – est fait pour attirer les jeunes, alors que des produits arrivent sur le marché qui équivalent à dix-huit paquets de cigarettes ! La puff n’est pas un dispositif de sevrage. Sur les 13-16 ans, un jeune sur dix a essayé la puff, alors qu’elle peut contenir 20 milligrammes de nicotine par millilitre. Elle apprend le geste de fumer. Ce combat nécessite de l’engagement et de la ténacité, nous l’aurons ! La puff est aussi un fléau environnemental : non rechargeable et non recyclable, sa fabrication consomme beaucoup d’eau et de pétrole. »
Catherine Vautrin, ministre du Travail et de la Santé
Interdiction des puffs adoptée par le Sénat : que dit le texte de loi ?
Le texte de loi transpartisan porté par les députés Michel Lauzzana (groupe Renaissance) et Francesca Pasquini (groupe écologiste – NUPES) qui fut transmis au Sénat pour débat sur l’interdiction des cigarettes électroniques jetables ou à usage unique, à l’exception des cartouches, comportait un seul article. Il avait été cosigné par 166 députés appartenant à huit groupes parlementaires différents.
Les sénateurs, majoritairement de droite ou du centre, après étude du texte, ont décidé de préciser la définition d’un dispositif de vapotage jetable ou à usage unique, mais aussi de clarifier le périmètre de l’interdiction pour pouvoir plus facilement surveiller le respect de la loi après application. La ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin, a en effet déclaré en séance :
« Nous étendons l’interdiction à la détention en vue de la vente, la distribution ou l’offre à titre gratuit. En effet, le droit actuel ne permet de sanction qu’en cas de flagrance ou de verbalisation au vu des registres de vente. Avec cet amendement, nous pourrons désormais sanctionner la détention dans les réserves des magasins ou l’exposition en rayon, en touchant de plus grands volumes. Les agents de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes pourront constater la nouvelle infraction. Voilà qui […] rend l’interdiction des puffs plus opérationnelle. »
Catherine Vautrin, ministre du Travail et de la Santé
Après le dit article, le Sénat a donc inséré des précisions dans un article L. 3513‑5‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3513‑5‑1. – Sont interdites la fabrication, la détention en vue de la vente, de la distribution ou de l’offre à titre gratuit, la mise en vente, la vente, la distribution ou l’offre à titre gratuit des dispositifs électroniques de vapotage mentionnés au 1° de l’article L. 3513‑1, à l’exception des cartouches, qui présentent au moins l’une des deux caractéristiques suivantes : 1° Être pré‑rempli avec un liquide et ne pouvoir être rempli à nouveau ; 2° Disposer d’une batterie non rechargeable. »
La violation des interdictions sera sanctionnable d’une amende de 100 000 euros maximum à compter de l’entrée en vigueur de la loi, prévue par les sénateurs au plus tard six mois après sa publication, à une date fixée par décret.
Interdiction des puffs : une victoire pour le groupe écologiste du Sénat
L’adoption du texte de loi sur l’interdiction des puffs par le Sénat a été présentée comme une « victoire au Parlement français » par les sénateurs et sénatrices de son groupe écologiste, dans un communiqué de presse publié suite au vote, partagé sur le réseau social X (anciennement twitter). Un communiqué dans lequel on pouvait également lire :
« Les puffs sont une aberration écologique, avec des batteries jetables produites en lithium, impossibles à recycler, avec par exemple déjà 5 millions de puffs qui sont jetées chaque semaine au Royaume-Uni. Elles représentent un danger pour la santé publique, avec une inhalation de vapeurs contenant du plastique et des métaux lourds, en plus de la nicotine, qui est un produit dangereux. »
La victoire sur la désinformation, elle, n’est donc pas pour aujourd’hui. Car les sénateurs écologistes avancent ici des dangers surprenants. Coupables d’une pollution de plastiques et de métaux lourds, les cigarettes électroniques jetables ont également été accusées de libérer ces mêmes substances dans leur vapeur. Ne mélangerait-on pas tout ? La nicotine serait aussi une substance dangereuse, alors même qu’elle est autorisée dans les substituts !
Une victoire contre l’addiction ?
Sovape n’a pas attendu l’adoption du texte de loi par le Sénat pour critiquer cette crainte de la nicotine et des équivalences infondées entre puffs et cigarettes. L’association rappelle que la consommation d’une puff de 2ml à 10 mg/ml de nicotine équivaut, grossièrement, à l’ingestion de 8mg à 16 mg de nicotine, soit 3 à 16 cigarettes selon les fumeurs, et que celle d’une puff de 2ml à 20 mg/ml de nicotine équivalait environ à 5 à 32 cigarettes.
Une équivalence valant uniquement sur la quantité, pas sur la rapidité de délivrance. La vitesse d’absorption de la nicotine fumée, bien plus rapide que celle de la nicotine vaporisée, joue en effet un rôle majeur dans la dépendance. Or, seuls des appareils délivrant des e-liquides à près de 60 mg/ml de nicotine peuvent présenter des courbes cinétiques de délivrance de nicotine s’approchant de celles des cigarettes fumées, d’après Sovape.
Ce qui est impossible en France compte tenu de la TPD, qui interdit les dosages de nicotine supérieurs à 20mg/ml, hors produits pharmaceutiques. Des produits eux fortement dosés, mais qui n’ont, de toute façon pas engendré de dépendance massive depuis leur mise en vente il y a 40 ans, malgré les craintes à l’époque de leur légalisation. Des données qui ne sont manifestement pas arrivées jusqu’aux sénateurs français !
Interdiction des puffs : les étapes à venir
L’adoption définitive n’interviendra pas avant six mois, dans le meilleur des cas, mais vous pouvez compter sur la détermination du Gouvernement.
Catherine Vautrin, ministre du Travail et de la Santé
Si l’interdiction des puffs se précise encore davantage en France, elle n’est pas encore adoptée. Car après avoir travaillé séparément, députés et sénateurs doivent maintenant œuvrer de pair lors d’une commission mixte paritaire en petit comité, afin de trouver un accord commun sur un texte de loi final.
La ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin, a décidé de ne pas notifier la Commission Européenne du texte de loi visant à interdire les cigarettes électroniques puffs en France, conformément à la directive 2015-1535 sur la transparence du marché unique et au titre de la directive Tabac européenne du 3 avril 2014, tant que le texte ne serait pas « stabilisé ». Une fois cette notification effectuée, la Commission disposera de six mois pour donner son avis et statuer sur sa validation. Une étape qui a déjà été anticipée par les sénateurs.
« Nous devons proposer un texte agile et englobant. Une interdiction de leur importation pourrait ne pas être conforme au droit européen, mais l’interdiction de leur fabrication et de leur vente devrait suffire. Les puffs sont aujourd’hui fabriquées en Chine et aucune filiale de production n’existe en France. Cette proposition de loi n’est pas un aveu d’échec, mais une avancée. L’interdiction générale sera plus facile à faire respecter qu’une interdiction pour les seuls mineurs. L’amende de 100 000 euros sera dissuasive. »
Khalifé Khalifé, rapporteur de la commission des affaires sociales.
Si toutefois la proposition d’interdiction des puffs en France n’aboutissait pas, par refus de l’Union Européenne, les cigarettes électroniques jetables disparaîtraient malgré tout en France quelques mois plus tard, en raison de l’interdiction de la commercialisation de produits contenant une batterie au lithium inamovible fixée par une directive européenne à partir de la fin 2026.
Des mesures compensatoires indispensables pour Sovape
Afin d’éviter une reprise de la consommation de tabac par les vapoteurs qui ne pourront plus utiliser de cigarettes électroniques puffs, si telle était leur habitude, une fois la proposition de loi transpartisane adoptée, Sovape évoque des mesures compensatoires indispensables.
Tout d’abord, l’association demande de renforcer l’interdiction de vente des produits du tabac aux mineurs pour les protéger d’un retour au tabagisme.
Concernant les adultes, qui ne pourraient être protégés de cette façon d’un retour à la cigarette ou d’un recours dangereux à des marchés parallèles, Sovape réclame aux pouvoirs publics une orientation vers des produits du vapotage légaux. Une mesure qui concernerait au moins un million de personnes dans tout le pays, probablement davantage, et qui permettrait d’éviter la rechute tabagique d’au moins 300 000 à 500 000 personnes.
Il ne s’agirait pas uniquement de faire la promotion de ces produits auprès des publics, mais de rendre le passage de la vape jetable à la vape pérenne possible y compris pour les fumeurs à bas revenus, en incitant financièrement à passer de l’une à l’autre. Sovape propose pour ce faire une baisse de la TVA à taux réduit (5,5%) sur les produits de vapotage rechargeables électriquement et remplissables en e-liquides, ainsi que sur les flacons de recharge.
Sovape propose conjointement la mise en place d’un programme de distribution de kits de vape et d’e-liquides, inspiré de l’actuel Swap to Stop anglais, pour cibler les fumeurs les plus défavorisés.
La puff, une vape des faibles revenus
Si aucune étude française n’a cherché à déterminer qui consomme des cigarettes électroniques jetables, au Royaume-Uni, le système de monitorage a révélé que les puffs sont surtout utilisées par des personnes à bas revenus, de jeunes adultes, et des personnes souffrant de troubles mentaux. Pourquoi en serait-il autrement en France ?
Il paraît assez logique que ces publics se tournent vers ces dispositifs de vape facilement accessibles, simples d’utilisation car prêts à l’emploi, et qui ne nécessitent aucun investissement de départ. L’investissement n’est en effet pas toujours possible, surtout pour un essai de la vape qui peut déboucher sur une insatisfaction.
Cela peut être le cas pour les français ayant un revenu inférieur à 1400€ mensuel, devant faire attention à l’ensemble de leurs dépenses pour des produits de consommation courante dont les produits du vapotage font partie.
Mais parce qu’en France, le taux de tabagisme des adultes comme des adolescents est plus élevé parmi le tiers des français les plus modestes, ces publics fragilisés seront vraisemblablement les plus impactés par l’interdiction des puffs si aucune mesure compensatoire n’est prise par nos dirigeants en retour.
L’avis d’Ecig Intelligence sur le marché de la vape en France suite à l’adoption de cette loi
Si l’interdiction des puffs en France, bien que nécessaire sur le plan écologique, est un jour instaurée en l’état, sans mesure compensatoire, elle risque donc d’être lourde de conséquences sur le plan sanitaire. En revanche, elle ne devrait pas porter atteinte au marché français de la vape, mais simplement modifier légèrement sa structure.
C’est en tout cas l’avis d’ECigIntelligence, analyste de marché réputé, qui rappelle que le marché de la cigarette électronique en France reste l’un des plus puissants du continent, avec une base d’utilisateurs et de canaux de vente au détail bien établie malgré un environnement réglementaire de plus en plus restrictif. Ce marché est d’ailleurs en croissance constante, avec une valeur en 2023 plus de deux fois supérieure à celle de 2018. La vente en ligne connaît elle aussi une croissance constante dans l’hexagone depuis 2020.
La France est en fait le deuxième marché européen (derrière le Royaume-Uni) et le troisième mondial, qui a atteint 1,56 milliard d’euros en 2023, et qui devrait atteindre 1,65 milliard d’euros en 2024, puis encore plus en 2025, compte tenu de la population française de vapoteurs qui elle aussi ne cesse d’augmenter au fil des années, avec 3,6 millions en 2024.
Car malgré l’intérêt porté par une part non négligeable de consommateurs aux produits du vapotage jetables, l’essentiel des vapoteurs, à savoir ceux expérimentés, ne sont pas adeptes de ces produits. Le marché français reste donc dominé par les systèmes à réservoirs ouverts et ne devrait pas souffrir de l’interdiction des puffs. De plus, des produits à cartouches fermées et préremplies ont effectué leur grand retour pour combler le vide des consommateurs touchés par l’interdiction des e-cigarettes jetables.
Seule une révision de la TPD pourrait être à craindre d’après ECigIntelligence, en cas de restrictions sur la vente au détail voire d’interdiction de la vente en ligne, ou de restrictions sur le vapotage public, ou sur les saveurs. 50 % des vapoteurs seraient alors touchés.