Le 29 octobre 2024, Geneviève Darrieussecq, alors ministre de la Santé, déclarait que le gouvernement français avait l’intention d’interdire les sachets de nicotine et produits apparentés, disponibles sous forme de gommes ou de billes.
Ce projet se concrétise : le 24 février 2025, une notification 2025/0110/FR a été transmise par la France à la Commission européenne dans le but d’obtenir son autorisation. Elle contient une proposition de décret portant interdiction des sachets de nicotine, et plus largement de tous les produits à usage oral contenant de la nicotine, à l’exception des médicaments.
Coup d’œil.
L’interdiction des sachets de nicotine avance en France, et prendra la forme d’un décret
« Face à la gravité de la situation, j’ai décidé l’interdiction pure et simple de ces produits pour tous, pas seulement pour les jeunes ; je préfère interdire un produit plutôt que de le taxer et le laisser vivoter ».
Geneviève Darrieussecq
Il s’est passé bien des choses depuis l’entretien exclusif au Parisien du 29 octobre 2024 de Geneviève Darrieussecq, ancienne ministre de la Santé, lors duquel elle avait déclaré que le gouvernement français avait l’intention d’interdire les sachets de nicotine, et plus globalement la nicotine à usage oral, à l’exception des médicaments. En effet, l’ancienne ministre a réitéré sa volonté en réponse à la présentation d’amendements visant à fiscaliser ces produits.
Parmi eux, un amendement pour l’encadrement commercial et fiscal des sachets de nicotine à usage oral, proposé par les sénateurs dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 sous forme d’un article 9 ter C. Ce dernier a été adopté en première lecture par le Sénat. La commission mixte paritaire a cependant décidé de le supprimer par la suite, car elle a préféré « attendre un véhicule réglementaire distinct sur le fond », autrement dit l’interdiction des sachets de nicotine annoncée par la ministre de la Santé.
« Les questions posées par les tabacs et les produits connexes, selon la terminologie de la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, sont trop complexes sur les plans juridique et médical pour être traitées par la voie d’un amendement qui par construction n’a pas été accompagné d’une étude d’impact et dont est inconnue l’analyse par les fort nombreuses administrations ou structures représentatives concernées. »
Yannick Neuder, nouveau ministre français chargé de la Santé et de l’Accès aux soins depuis le 23 décembre 2024, a ensuite repris le flambeau sans faiblir, en annonçant seulement quelques semaines après la prise de parole de sa prédécesseure vouloir « prendre cette mesure par décret dans les meilleurs délais », lors d’une audition en commission des Affaires sociales. Autrement dit, court-circuiter tout risque de longs débats parlementaires en optant pour une norme émanant directement de l’autorité exécutive, qui a force de loi.
Un décret n’étant en effet pas soumis à l’approbation du Parlement, c’est un moyen efficace de gagner du temps dans la mise en œuvre d’une loi. L’article L. 5132-8 du code de la santé publique autorisant la prohibition de toute opération relative aux substances vénéneuses, dont la nicotine fait partie, par un décret en Conseil d’Etat, Yannick Neuder est dans son plein droit. L’affaire est désormais en marche, une proposition de décret ayant bel et bien été rédigée par le Premier ministre français, sur le rapport de la ministre de la santé et de l’accès aux soins.
Le saviez-vous ?
Les sachets de nicotine contiennent des fibres polymères imprégnées de nicotine. Ils sont différents du Snus suédois, qui contient du tabac. Ces produits se consomment cependant tous deux oralement, en les plaçant entre la lèvre et la gencive.
Que prévoit le décret ?
Le décret relatif à l’interdiction des produits à usage oral contenant de la nicotine prendra place dans la cinquième partie du code de la santé publique. Il s’adresse aux fabricants, importateurs, distributeurs et détaillants des produits contenant de la nicotine, ainsi qu’aux usagers, et prévoit l’interdiction des produits à usage oral contenant de la nicotine, à l’exception des médicaments et dispositif médicaux. Pour ce faire, il définit les produits à usage oral contenant de la nicotine qui feront l’objet de l’interdiction, et précise les conditions dans lesquelles ces produits sont interdits.
« Art. R. 5132-96-1. – I. – La production, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition, la distribution et l’emploi de produits à usage oral contenant de la nicotine sont interdits sur le territoire national. »
« II. – Sont considérés comme produits à usage oral contenant de la nicotine tous les produits manufacturés, constitués totalement ou partiellement de nicotine synthétique ou naturelle, conditionnés pour la vente, quelle que soit leur présentation, et destinés à la consommation humaine par ingestion ou absorption. »
« III. – Cette interdiction ne s’applique pas :
1° Aux tabacs à chiquer mentionnés à l’article L 3512-13 ; 2° Aux médicaments au sens des articles L. 5111-1 et L. 5121-1-1, aux dispositifs médicaux au sens des articles L. 5211-1 et L. 5221-1 ainsi qu’aux matières premières à usage pharmaceutique telles que définies à l’article L. 5138-2 ; 3° Aux denrées alimentaires au sens du règlement (CE) 178/2002 du Parlement et du Conseil contenant naturellement de la nicotine ou conformes au règlement (CE) n° 396/2005 du Parlement européen et du Conseil du 23 février 2005. »
Les sachets de nicotine (sachets portions ou sachets poreux), mais aussi la pâte de nicotine, les billes de nicotine, la nicotine liquide, les gommes à mâcher à la nicotine, les pastilles de nicotine, les bandelettes de nicotine, ainsi que toute combinaison de ces formes seront ainsi concernés par ce décret d’interdiction. Leur production, fabrication, transport, importation, exportation, détention, offre, cession ou acquisition, ainsi que leur distribution et emploi seront interdits.
La proposition de décret, notifiée à la Commission européenne le 24 février 2025
Cette proposition de décret, relative à l’interdiction des produits à usage oral contenant de la nicotine, a été transmise à la Commission européenne le 24 février dernier dans le cadre d’une notification 2025/0110/FR. Une procédure obligatoire, la Commission devant formuler des avis sur la proposition, et délibérer sur son bien-fondé avant de rendre son verdict et de décider de son autorisation ou non.
Dans cette notification, les ministères français concernés citent l’article 168 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui contraint l’Union européenne à respecter les responsabilités des États membres pour la définition de leur politique de santé. Ils exposent ensuite dans un long argumentaire pourquoi les dispositions du projet de décret français sont justifiées, nécessaires et proportionnées pour atteindre l’objectif de protection de la santé publique fixé, sans attendre l’éventuelle révision des directives européennes.
« Au vu de l’attractivité, de la nocivité, de la dépendance et du mode d’utilisation, les autorités françaises considèrent que l’interdiction de la production, de la fabrication, du transport, de l’importation, de l’exportation, de la détention, de l’offre, de la cession, de l’acquisition, de la distribution et de l’utilisation de produits à usage oral contenant de la nicotine est justifiée afin d’atteindre l’objectif de préservation de la santé publique au regard des nombreux risques associés. »
Ces mêmes ministères prennent notamment pour exemple l’augmentation importante des cas d’intoxication signalés aux centres antipoison en France, en dénonçant la facilité de consommation de ces produits pourtant risqués pour la santé, couplée à un marketing attractif, créateurs d’un environnement propice à la surconsommation, notamment pour les plus jeunes.
Ils invoquent l’objectif d’une génération sans tabac fixé dans ses programmes nationaux de lutte contre le tabac (PNLT) depuis 2016, et dans le Plan européen de lutte contre le cancer, en déclarant qu’un marché basé sur des formes orales de nicotine serait contre-productif.
Les ministères français rappellent enfin à la Commission que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), par un arrêt du 22 novembre 2018, a conclu que les dispositions interdisant la mise sur le marché de produits du tabac à usage oral (snus) ne portent pas atteinte aux principes de non-discrimination, de proportionnalité, de subsidiarité, de libre circulation des marchandises, etc, mais sont justifiées par des raisons de santé publique. Ce faisant, ils lui demandent d’autoriser désormais une interdiction plus large de tous les produits à usage oral contenant de la nicotine, même lorsqu’ils ne sont pas composés de tabac, pour éviter tout contournement de l’interdiction, tout développement et commercialisation de nouveaux produits oraux nicotinés.
Quand les sachets de nicotine pourraient-ils être interdits en France ?
Si le texte du décret prévoit une entrée en vigueur six mois après sa publication, il ne pourra être publié qu’après avoir obtenu le feu vert de la Commission européenne. Le collège des commissaires européens, ainsi que les autres États membres, disposent de trois mois pour émettre des avis sur le texte. La fin de l’immobilisme est ainsi annoncée pour le 26 mai 2025.
Il est possible, même si peu probable, que la proposition de décret française relatif à l’interdiction des produits à usage oral contenant de la nicotine reçoive un avis circonstancié. C’est ce qui arrive lorsque la Commission européenne ou les États membres considèrent qu’une proposition de loi entraverait le marché intérieur européen ou le droit national d’un autre pays de l’Union. Si cela devait se produire, la France serait obligée de produire un nouvel argumentaire, dont l’étude reprendrait trois mois, pour un nouvel avis rendu en août 2025.
Plus vraisemblablement, la France devrait recevoir pour son projet une autorisation sans résistance, tout au plus un avis simple de la Commission ou des États membres, autrement dit une simple observation, comme ce fut le cas précédemment pour les Pays-Bas. Dans ce cas, la France pourrait adopter son décret, et donc le publier, à partir du 26 mai 2025, pour une entrée en vigueur en novembre 2025.