Les sachets de nicotine bientôt interdits en France. Voici l’annonce, en date du 29 octobre dernier, de Geneviève Darrieussecq, ministre de la Santé, dans un entretien au Parisien. Un texte d’interdiction devrait donc être prononcé dans les prochaines semaines, à l’encontre des « pouches » mais aussi des billes de nicotine, une autre forme orale de cette substance.
Une décision radicale, approuvée par le Comité national contre le tabagisme (CNCT), mais réfutée par les addictologues. Pourquoi de tels avis divergents au sujet des « pouches » ? Par ici pour faire le point !
Les pouches, des sachets de nicotine non réglementés
Face au terme « pouches » vous êtes tenté de dire « Quésaco ? » On vous répond illico !
C’est le petit nom donné à des sachets de nicotine aromatisés et jetables. Des sachets en tissu perméable qui ne contiennent pas de tabac mais des fibres polymères imprégnées de nicotine, permettant une consommation sans combustion. Ils sont de ce fait différents du Snus suédois, qui contient pour sa part du tabac, même si la façon de consommer ces produits est identique, en les plaçant entre la lèvre et la gencive. Les billes de nicotine, quant à elles, peuvent être placées sur la langue jusqu’à ce qu’elles fondent complètement.
Une forme orale de nicotine récente, qui ne fait pour le moment l’objet d’aucun cadre réglementaire en France et en Europe. Si les sachets de nicotine comme les billes de nicotine ne disposent pas d’une autorisation de mise sur le marché français, ils peuvent être commercialisés en France sans déclaration, donc sans données fournies au sujet de leur composition et de leur toxicité, compte tenu de la brèche législative nationale à l’origine de cette opportunité pour les fabricants. Une faille bien connue des parlementaires français, qui la mentionnaient déjà dans le rapport de l’OPECST de septembre 2023 et dans le dernier plan national de lutte contre le tabac.
Ces produits nicotinés ne font pas partie des produits à la nicotine autorisés comme médicaments dans le traitement de l’arrêt du tabac des fumeurs. Les sachets de nicotine sont toutefois considérés comme des alternatives aux cigarettes classiques et comme un outil efficace dans la lutte contre le tabagisme par plusieurs addictologues.
Les sachets de nicotine bientôt interdits en France : pourquoi ?
« Le gouvernement a décidé d’interdire ces produits, qu’il s’agisse des sachets contenant de la nicotine à placer dans la bouche, contre la gencive ou sous la langue, qu’on appelle “pouches”, mais aussi des produits similaires qui sont tout aussi problématiques, sous la forme de gommes ou de billes. »
Geneviève Darrieussecq
Les sachets de nicotine, bientôt interdits en France, sont dans le collimateur de la ministre de la Santé pour plusieurs raisons, qu’elle a détaillé lors de son entretien exclusif au Parisien du 29 octobre dernier, avant de préciser qu’un texte d’interdiction sera publié dans les prochaines semaines.
« Le marketing de ces produits est directement ciblé vers les jeunes et je souhaite que nous puissions protéger notre jeunesse. […] Je suis très préoccupée car les centres antipoison reçoivent de plus en plus d’appels d’adolescents pour des syndromes nicotiniques aigus parfois sévères, en lien avec la consommation des pouches. Ils se traduisent par des vomissements, des convulsions, des hypotensions voire des troubles de la conscience. […] Ce sont des produits dangereux car ils contiennent des fortes doses de nicotine. C’est de notre devoir d’en interdire la commercialisation. »
Un communiqué de l’Anses alertait effectivement en novembre 2023 au sujet des intoxications après la consommation de sachets de nicotine communiquées aux centres antipoison, en hausse depuis 2020. Un phénomène touchant principalement des jeunes âgés de 12 à 17 ans, parfois signalé par le personnel d’établissements scolaires.
Les sachets de nicotine, utilisés comme substitut à la cigarette par certains fumeurs, se sont donc aussi frayés un chemin vers un public qu’ils n’auraient jamais dû atteindre : les adolescents. Mais doit-on diaboliser les pouches dans le contexte de vide juridique qui est le leur ? N’était-ce pas prévisible qu’un produit vendu à un prix dérisoire, à savoir environ 5€ le lot de vingt sachets de nicotine, et dénué de toute réglementation, finisse par s’échanger à la sortie des collèges et des lycées, pour se retrouver entre de mauvaises mains et causer une fâcheuse et dangereuse dérive de consommation ?
Les sachets de nicotine bientôt interdits en France, un projet soutenu par le CNCT
Le Comité national contre le tabagisme (CNCT) n’a pas mis longtemps pour trancher sur la question. Il a déclaré prendre parti pour une interdiction pure et dure des sachets de nicotine dans un communiqué daté du 30 octobre dernier.
Rien d’étonnant à cela puisque le CNCT plaidait en faveur de leur ban depuis leur arrivée en France, et avait déposé une plainte auprès du Procureur de la République pour trafic de substances vénéneuses classées en liste dans l’espoir de stopper la vente des pouches, que 60% des buralistes français commercialisent déjà.
L’argumentaire évoqué par le Comité national contre le tabagisme repose sur un marketing trompeur qui présente le produit comme un outil de sevrage tabagique alors qu’il ciblerait de nouveaux consommateurs, et particulièrement les jeunes, pour les rendre rapidement dépendants à la nicotine, tout en veillant à maintenir les fumeurs actuels dans leur addiction nicotinique, grâce à un dosage fort de nicotine, allant jusqu’à 100mg. Le Comité national contre le tabagisme reproche notamment aux fabricants et aux revendeurs la mise en avant d’une grande disponibilité d’arômes et de la possibilité de consommer ces produits n’importe où et n’importe quand, plus facilement encore que la cigarette ou la cigarette électronique.
Réguler plutôt qu’interdire : la demande des addictologues
De leur côté, les addictologues sont moins radicaux, mais plutôt consternés. Plus précisément William Lowenstein, Anne Borgne, Marion Adler, Nicolas Authier, Bertrand Lebeau-Leibovici, Philippe Arvers, Benjamin Rolland et Jean-Pierre Couteron, tous signataires d’une tribune en faveur d’une régulation plutôt que d’une interdiction, puisque cela fonctionne dans le domaine des autres produits nicotiniques.
« Au-delà de la moindre toxicité de ces produits, il est crucial de se demander si leur interdiction est efficace et proportionnée pour les fumeurs, tout en gardant à l’esprit que la protection des jeunes contre l’initiation à la nicotine est essentielle pour guider la décision publique. Si la décision d’interdire peut être légitime pour certaines catégories de produits, elle doit rester exceptionnelle par rapport à celle de réguler. En matière de produits nicotiniques, une réglementation rigoureuse permet en effet de concilier les objectifs de santé publique, la protection des mineurs et le droit des fumeurs adultes à disposer de produits moins nocifs les aidant à arrêter la cigarette. »
Les médecins redoutent qu’une prohibition totale n’ait un effet contraire à celui désiré : un accès aux sachets de nicotine encore plus facile, et incontrôlable, par les jeunes, via un marché clandestin. Pour cette raison ils recommandent davantage une distribution très encadrée de ces produits avec un contrôle de l’âge d’achat, une obligation de transparence vis à vis des ingrédients utilisés, une interdiction des saveurs récréatives, et une publicité réduite, et de s’inspirer des réussites étrangères en termes de santé publique, et plus particulièrement de lutte contre le tabagisme.
« Tandis que le nombre de fumeurs en France stagne de manière inquiétante, l’heure ne doit pas être à l’interdiction des alternatives mais à leur encadrement. »
Les sachets de nicotine : moins nocifs que le tabac, utiles à certains fumeurs
Dans leur tribune, les addictologues présentent les pouches, ces sachets de nicotine bientôt interdits en France, comme une alternative intéressante et rappellent qu’ils sont moins nocifs que les cigarettes. L’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR), une autorité publique indépendante, a en effet conclu lui même que le passage des cigarettes aux sachets de nicotine pourrait représenter une réduction des risques pour la santé d’un fumeur, après avoir évalué leurs risques sanitaires. Rien d’étonnant, puisqu’ils n’exposent pas aux substances toxiques liées à la combustion, responsables de cancers mais aussi de maladies respiratoires et cardiovasculaires.
Une donnée de poids pour les addictologues, confrontés sur le terrain à l’inexistence d’un produit miracle capable de convenir à tous les fumeurs pendant leur sevrage, et par conséquent en quête de toujours plus de solutions sécurisées à proposer aux fumeurs qu’ils accompagnent, pour davantage de personnalisation, indispensable. Les sachets de nicotine sont ainsi pour eux une alternative de plus à leur palette, qui permet pendant un sevrage de contrôler la dose de nicotine que l’on prend tout en se détachant de l’habitude de fumer. Ils refusent de voir cette option qui convient à certains fumeurs être balayée d’un revers de la main pour de mauvaises raisons.
Fin du tabagisme en Suède : la France fera-t-elle fausse-route en interdisant les pouches ?
Faisons maintenant ensemble un petit détour par la Suède, puisque l’agence de santé suédoise a récemment communiqué des chiffres qui indiquent que le pays a éradiqué le tabagisme quand les autres d’Europe ont encore en moyenne 24 % de fumeurs. C’est en effet le premier de l’Union Européenne qui a atteint l’objectif fixé par la Commission européenne dans son plan Vaincre le cancer en passant à 4,5 % de fumeurs, donc sous la barre des 5 % requis, seize ans avant le délai fixé, et le premier du monde avec un taux de prévalence tabagique aussi bas. La Suède a également un des taux de cancers du poumon les plus bas d’Europe.
Un succès attribué à la promotion des produits à base de nicotine alternatifs, tels que le snus, les sachets de nicotine et les cigarettes électroniques, et à leur bien moindre taxation que le tabac, par Delon Human, dirigeant de Smoke Free Sweden, dans un communiqué publié le 13 novembre dernier. Il y déplore les politiques prohibitionnistes des autres pays, qui « limitent l’accès à des alternatives plus sûres », notamment aux sachets de nicotine. Anders Milton, l’ancien président de la Swedish Medical Association, précise que la réussite de la Suède n’est pas étrangère à la variété de concentrations et de saveurs disponibles pour ces produits alternatifs.
« Le succès de la Suède est la preuve vivante que les produits alternatifs à base de nicotine sont une force puissante pour un changement positif lorsqu’ils sont soutenus par des politiques fondées sur des preuves. »
Delon Human
Une opinion partagée par les addictologues, qui considèrent que les pouches ont prouvé leur capacité à réduire significativement les risques de maladies liées au tabagisme. Ils citent ce même exemple suédois dans leur tribune en faveur d’une régulation des sachets de nicotine plutôt que d’une totale interdiction.
Il apparaît légitime de remettre en question la position gouvernementale face aux pouches, et aux autres produits à risques réduits de manière générale, face à un tel exemple de réussite. D’autant plus que les sachets de nicotine pourraient être encore moins nocifs que le Snus, le produit à risques réduits le plus à succès en Suède, puisque ces derniers ne contiennent pas du tout de tabac, dès lors qu’une réglementation stricte s’appliquerait pour surveiller la liste et la qualité de leurs ingrédients, et empêcher leur vente auprès du mauvais public.