Est-ce que vapoter donne le cancer ? Si le sujet n’est pas nouveau, il intéresse toujours la science. Le 21 janvier 2025, la prestigieuse revue Scientific Reports publiait en effet l’étude Altered expression profile of plasma exosomal microRNAs in exclusive electronic cigarette adult users, réalisée par des chercheurs du Département de médecine environnementale du Centre médical de l’Université de Rochester, aux États-Unis.
Une étude qui compare l’activité des microARN exosomal chez les vapoteurs et les non-fumeurs. Ces biomarqueurs qui régulent les gènes qui influencent les voies cancérigènes se sont révélés plus nombreux chez les utilisateurs de cigarette électronique. Mais peut-on pour autant avancer, comme l’a fait la presse, que vapoter augmente les risques de cancer ? Coup d’œil.
Est-ce que vapoter donne le cancer ? Une première approche par analyse de l’ADN, en 2018
L’étude des risques de cancer liés à l’usage de la cigarette électronique n’est pas une nouveauté scientifique. En 2018, une étude menée par des chercheurs de la faculté de médecine de New-York, et relayée massivement par la presse, avait fait les gros titres en prétendant que vapoter, en altérant l’ADN des utilisateurs de cigarette électronique, pouvait provoquer des cancers.
Il faut dire que les chercheurs eux-mêmes concluaient « À partir de ces résultats, nous suggérons que l’usage de la cigarette électronique est cancérigène et que cela augmente le risque de développer un cancer du poumon, un cancer de la vessie et des maladies cardiovasculaires. » Des conclusions très rapidement remises en question, faute d’un véritable lien de causalité trouvé entre l’utilisation d’une cigarette électronique et la survenue de cancers.
Car si les chercheurs avaient observé que l’ADN de dix souris exposées massivement à des aérosols d’un produit du vapotage présentait un plus grand nombre de mutations que celui des autres souris, tout en perdant de sa capacité à se régénérer, et que le matériel génétique de cellules humaines de poumon et de vessie exposées à de forts taux de nicotine et de nitrosamine présentait davantage de mutations que celui de cellules non exposées à ces mêmes substances, ces expositions, exagérées, n’avaient rien de comparable à celle d’un vapoteur en conditions réelles. Des dommages qui n’ont, d’ailleurs, pas entraîné de cancer pendant l’étude. Conclure que vapoter est cancérigène était donc une extrapolation.
La recherche devait donc se poursuivre pour tirer l’affaire au clair. C’est ce qui s’est passé, des chercheurs du Département de médecine environnementale du Centre médical de l’Université de Rochester, aux États-Unis, ayant décidé d’adopter une autre approche : comparer l’activité de biomarqueurs épigénétiques, les microARN exosomal, chez des vapoteurs comme des non-fumeurs.
Est-ce que vapoter donne le cancer ? Des marqueurs épigénétiques à la rescousse des chercheurs
Les MicroARN exosomal (miARN) : un grand rôle dans le cancer
Les miARN sont des biomolécules qui contribuent au fonctionnement normal des cellules. Lorsqu’elles sont déréglées, des mutations génétiques anormales peuvent subvenir dans les cellules et les inciter à se développer de façon désordonnée ou à ne pas mourir alors qu’elles le devraient. C’est ainsi qu’un cancer peut apparaître.
Les MicroARN exosomal intéressent beaucoup les chercheurs en ce moment. C’est parce qu’ils sont perçus comme des candidats prometteurs en tant que biomarqueurs pour de nombreuses maladies, y compris les cancers. Candidats seulement, en l’absence d’un seuil standardisé déterminé comme un signe précurseur de la survenue d’une maladie en cas de dépassement. Ces messagers informent simplement leurs observateurs sur la santé cellulaire, et plus particulièrement sur la régulation cellulaire. C’était cependant logique, dans le cadre de la recherche sur les liens entre vapotage et cancer, qu’une équipe de scientifiques décide de se pencher sur l’étude de ces biomarqueurs épigénétiques.
Étudier l’impact de l’utilisation d’un vaporisateur personnel sur les microARN exosomaux est l’approche qui a été choisie par l’équipe du Département de médecine environnementale du Centre médical de l’Université de Rochester, à l’origine de l’étude américaine Altered expression profile of plasma exosomal microRNAs in exclusive electronic cigarette adult users, publiée le 21 janvier 2025 dans Scientific Reports, dont Dongmei Li, Ph.D, professeur de recherche clinique et translationnelle et directeur des services de soutien statistique en sciences translationnelles pour l’Institut des sciences cliniques et translationnelles. Ce dernier s’est exprimé à ce sujet :
« Les microARN exosomal jouent un rôle crucial dans les processus inflammatoires et pathologiques comme le cancer. Cependant, on sait peu de choses sur la manière dont l’utilisation exclusive de la cigarette électronique affecte les microARN exosomal, qui régulent les gènes qui influencent les voies cancérigènes. »
Dongmei Li, Ph.D
Pour le découvrir, les chercheurs ont analysé des échantillons de plasma sanguin provenant des biobanques de l’étude Population Assessment of Tobacco and Health Study, et comparé les profils de microARN exosomal des utilisateurs de cigarettes électroniques à ceux de non-vapoteurs.
Est-ce que vapoter donne le cancer ? Les résultats et conclusions de l’étude de 2025
Après avoir utilisé diverses techniques de séquençage pour identifier les miARN exosomaux exprimés différemment entre les échantillons de plasma sanguin du groupe des vapoteurs et ceux des non-vapoteurs, l’équipe du Département de médecine environnementale du Centre médical de l’Université de Rochester a découvert que quatre microARN exosomal (hsa-miR-100-5p, hsa-miR-125a-5p, hsa-miR-125b-5p et hsa-miR-99a-5p) étaient en plus grand nombre dans le groupe des utilisateurs de cigarette électronique.
Les scientifiques ont ainsi observé une augmentation des voies de signalisation cellulaire cancérigènes chez les vapoteurs par rapport aux non utilisateurs d’une cigarette électronique. Ils ont alors conclu à un probable risque accru de cancer lié au vapotage.
« Nos résultats contribuent de manière significative à la compréhension des risques potentiels pour la santé liés à l’utilisation de la cigarette électronique et devraient être pris en compte par les professionnels de la santé et le public afin de protéger la santé publique. »
Dongmei Li, Ph.D
Une information relayée massivement par la presse, sans apporter d’informations complémentaires mises en avant par les chercheurs, pourtant essentielles.
Des résultats non significatifs après ajustement statistique
La première des informations complémentaires essentielles à la bonne compréhension de cette étude, partagée par les chercheurs eux-mêmes dans leur publication, est la suivante : les résultats qu’ils ont observés ne sont plus suffisamment significatifs après l’application d’une méthode de correction statistique pour éviter les erreurs dues au hasard. Autrement dit : la fiabilité de leur découverte peut largement être remise en cause.
« Cependant, aucun d’entre eux n’est resté significatif au niveau de 5 % après ajustement pour la multiplicité à l’aide de la méthode BonEV pour contrôler le taux de fausses découvertes ».
Une information qui ne manque pas d’importance, d’autant plus qu’une augmentation du nombre de microARN exosomal dans le plasma sanguin peut avoir bien d’autres origines, dont les chercheurs n’ont peut-être pas tenu compte au moment de la sélection des échantillons sanguins. Une telle augmentation a en effet déjà pu être observée chez des individus dans le cas de comorbidités, d’une mauvaise alimentation, ou d’une exposition à des polluants environnementaux.
Un problème dans le choix des échantillons de plasma sanguin
De plus, des choix méthodologiques effectués par l’équipe de chercheurs du Département de médecine environnementale du Centre médical de l’Université de Rochester permettent de remettre en cause leurs conclusions.
Des échantillons non représentatifs des effets du vapotage actuel
Comme ce fut le cas en 2018, les scientifiques ont mené leurs recherches à partir d’un nombre trop restreint d’échantillons de plasma sanguin pour que leurs conclusions puissent représenter une vérité indiscutable : 15 échantillons pour les vapoteurs, 15 pour les non utilisateurs de cigarette électronique. Mais ce n’est pas tout, car les prélèvements sanguins dont ils sont issus datent de 2013 et 2024 et remontent donc aux débuts de la vape, alors que les cigarettes électroniques comme les e-liquides étaient à l’époque différents des produits actuels. Les résultats obtenus par les chercheurs seraient-ils les mêmes après une analyse d’échantillons prélevés en 2025 ? C’est loin d’être sûr.
Des échantillons provenant de vapoteurs non exclusifs, avec passé tabagique
Autre problème majeur dans la sélection des échantillons de plasma sanguin pour réaliser cette étude : ceux choisis pour représenter le groupe des vapoteurs ne provenaient pas de vapoteurs exclusifs, qui n’ont jamais consommé de tabac. Les auteurs expliquent en effet que, par vapoteurs, ils entendent « des personnes qui ont déjà utilisé une cigarette électronique, qui l’ont utilisée régulièrement et qui l’utilisent tous les jours ou certains jours », et qui « n’utilisent pas régulièrement d’autres produits du tabac ».
Or, ces échantillons n’ont pas été comparés à d’autres provenant de fumeurs. En l’absence d’une telle comparaison, il est impossible de dissocier l’impact du vapotage de celui de la consommation de produits du tabac sur les miARN, et donc de déterminer précisément les conséquences de l’utilisation d’une cigarette électronique sur le fonctionnement de ces biomolécules. Rien ne permet, de ce fait, d’affirmer que l’augmentation du nombre des microARN exosomal dans le groupe des utilisateurs de cigarette électronique ne soit pas liée à la consommation de produits du tabac plutôt qu’au vapotage.
Est-ce que vapoter donne le cancer ? L’avis de l’Institut National du Cancer
Il n’existe pour l’instant pas de preuve solide que la cigarette électronique augmente le risque de développer un jour un cancer quel qu’il soit, les éléments apportés par les chercheurs du Département de médecine environnementale du Centre médical de l’Université de Rochester étant bien trop fragiles. Des données complémentaires sont encore nécessaires pour préciser les risques de cancers pour les vapoteurs exclusifs n’ayant jamais fumé, en l’absence de données fiables évaluant ce risque, comme le suggère le Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard.
La priorité serait de mener des recherches ciblées sur les risques pour les vapoteurs de développer un cancer nasopharyngé, des sinus ou des voies respiratoires hautes, zones qui concentrent le plus les substances contenues dans l’aérosol des cigarettes électroniques. Car la dégradation du propylène glycol, lors de la chauffe, peut causer la formation de formaldéhyde, quand celle de la glycérine végétale peut entraîner la formation d’acroléine, et celle de plusieurs molécules aromatiques la formation d’acétaldéhyde, trois substances cancérogènes. Soyez rassurés toutefois, une norme française (AFNOR XP D90-300) fixe des concentrations maximales autorisées pour ces molécules dans les e-liquides et leurs émissions.
Pour répondre à la question « est-ce que vapoter donne le cancer ? » il convient donc plutôt de se tourner vers l’organisme le plus fiable à ce jour sur le sujet : l’Institut National du Cancer, qui déconseille la cigarette électronique aux non-fumeurs, par précaution, mais pas aux fumeurs, bien au contraire. L’organisme rappelle que les systèmes électroniques de délivrance de la nicotine (SEDEN) ne contiennent pas les 7000 substances chimiques du tabac, dont 70 cancérigènes reconnus (dont le benzène, l’arsenic et le chrome), à des taux significatifs, ce qui implique que le risque de cancer lié à la cigarette électronique, s’il existe, est bien moindre que le risque extrêmement important de cancer dû au tabac.
« Laisser penser que la cigarette électronique est aussi dangereuse que le tabac est, dans l’état actuel des connaissances, faux. Cette croyance peut avoir un impact négatif sur les personnes qui souhaitent débuter un sevrage tabagique avec l’e-cigarette et limiter ainsi leur risque de cancer. »
Un avis partagé par l’Académie nationale de médecine, pour qui il est « préférable de vapoter plutôt que de fumer » 700 000 fumeurs français ayant d’ailleurs décroché grâce à la cigarette électronique. L’Institut National du Cancer réserve plus précisément une page entière de son site à déconstruire l’idée que la vape entraîne le cancer du poumon, et à rappeler qu’aucune étude scientifique n’a fait la preuve d’un lien de causalité entre l’utilisation de l’e-cigarette et ce cancer, mais que les données disponibles permettent d’affirmer que le tabagisme est nettement plus nocif que le vapotage. On y trouve aussi l’information que la nicotine n’est pas cancérigène, contrairement à la croyance de 3 Français sur 4.