La technologie de l’ARN messager, vulgarisée dans le cadre de la pandémie de COVID-19, car utilisée dans la vaccination, vient d’être portée à un nouveau champ d’application : la lutte contre le cancer du poumon.
Le laboratoire BioNTech a en effet été autorisé à soumettre BNT116, un vaccin à ARNm contre le cancer du poumon, à un essai clinique de phase 1 dans 34 centres de recherche répartis dans sept pays : Allemagne, Espagne, États-Unis, Hongrie, Pologne, Royaume-Uni et Turquie.
Les médias parlent déjà d’un vaccin révolutionnaire. Qu’en est-il vraiment ?
Vaccin à ARNm contre le cancer du poumon : une innovation BioNTech
« Nous exploitons des technologies de pointe pour créer des approches de traitement sur mesure pour l’oncologie et les maladies infectieuses, inaugurant une nouvelle ère d’immunothérapies. »
Si le nom BioNTech ne vous est pas inconnu, c’est normal. On doit en effet à cette société d’immunothérapie de nouvelle génération, pionnière dans le domaine des thérapies innovantes, le vaccin à ARN messager contre le virus de la Covid-19 (BioNTech-Pfizer).
Fondé par des scientifiques et des médecins, le laboratoire BioNTech a pour but d’améliorer la santé mondiale grâce à ses recherches fondamentales et à ses travaux qui visent à développer de nouvelles immunothérapies qui exploitent tout le potentiel du système immunitaire. Il étudie les mécanismes qui permettent au système immunitaire de reconnaître ce qui menace son intégrité, qu’il s’agisse d’ennemis externes (les infections) ou internes (les cancers).
Ces connaissances lui servent à développer des thérapies et des vaccins qui exploitent ces mécanismes, notamment en oncologie. Des traitements qui entraînent le système immunitaire des patient à détecter et à détruire les cellules cancéreuses. Le candidat vaccin à ARNm contre le cancer du poumon, baptisé BNT166, est l’un de ces vaccins.
La technologie de l’ARNm contre le cancer du poumon non à petites cellules (CPNPC), une première mondiale
Le cancer du poumon est la première cause de mortalité par cancer dans le monde, responsable d’environ 1,8 million de décès chaque année. Le cancer du poumon non à petites cellules (CPNPC), l’un d’eux, se développe à partir des cellules de la paroi des bronches, des bronchites et des alvéoles. C’est le plus fréquent des cancers du poumon, et généralement celui causé par le tabagisme, qui représente 85 à 90 % de tous ceux diagnostiqués chaque année en France.
L’annonce du candidat vaccin à ARNm contre ce cancer de BioNtech est une source d’espoir compte tenu du mauvais pronostic du CPNPC, affichant un taux de survie à 5 ans de moins de 20 %, quel que soit le stade de la maladie. Mais quelle technologie exploite-t-il plus précisément, et comment fonctionne-t-il contre le cancer ?
Il s’agit de l’ARN messager, une forme d’acide ribonucléotidique qui permet de copier et de diffuser l’information génétique, d’où son nom de « messager ». L’ARNm est produit par les cellules elles-mêmes lors de la fabrication des protéines indispensables à leur fonctionnement. Identifié en 1961, il n’a pu être produit en laboratoire que bien plus tard, et n’a été utilisé dans le domaine médical qu’en 2020, avec la mise sur le marché du vaccin BioNTech-Pfizer contre la Covid-19.
Le candidat vaccin BNT116 de BioNtech utilise cette technologie de l’ARNm pour coder six marqueurs spécifiques (antigènes) des tumeurs cancéreuses du poumon non à petites cellules (CPNPC). L’injection de ce vaccin permet de présenter ces marqueurs au système immunitaire pour lui apprendre à identifier les tumeurs qui les contiennent comme des ennemis, à les attaquer dans le but de les éliminer, et à éviter leur réapparition. Il vise ainsi à déclencher une réponse immunitaire forte, ciblée et longue durée. Si l’approche de l’immunothérapie existe déjà en cancérologie, elle est ici novatrice du fait de l’utilisation de cette technologie. Une première mondiale !
L’essai clinique du vaccin BNT116 est en cours
Pour l’heure, le vaccin à ARNm contre le cancer du poumon de BioNTech (BNT116) n’est qu’en cours d’évaluation dans le cadre de LuCa-MERIT-1, un essai de phase 1 qui ne concerne que les patients en stade avancé ou métastatique. L’objectif de cet essai clinique est de vérifier la dose à donner aux patients dans le cadre d’une thérapie unique, ou d’une thérapie combinée à d’autres traitements anti-cancéreux, mais aussi d’évaluer l’innocuité, la tolérance et l’efficacité préliminaire de ce vaccin.
Le 23 juillet dernier, Janusz Racz, un patient britannique de 67 ans, fut le premier à recevoir ce vaccin à ARNm contre le cancer du poumon. Le recrutement de patients répondants aux critères d’éligibilité à l’étude est en cours, ou le sera prochainement, dans les 34 sites de recherche qui réaliseront cet essai clinique, répartis dans sept pays, à savoir l’Allemagne, l’Espagne, les Etats-Unis, la Hongrie, la Pologne, le Royaume-Uni et la Turquie.
Les patients admis recevront six injections consécutives (chacune contenant des brins d’ARNm différents) à cinq minutes d’intervalle, sur une période de 30 minutes, ce chaque semaine pendant six semaines consécutives, puis toutes les trois semaines pendant 54 semaines. Les données intermédiaires de l’étude de phase 1 montrent pour le moment une activité clinique initiale encourageante et un profil de sécurité tolérable.
Un nouveau traitement révolutionnaire contre le cancer ?
Malgré que le vaccin à ARNm contre le cancer du poumon développé par BioNTech ait encore un long chemin à parcourir, la toile parle déjà d’une avancée révolutionnaire dans la prise en charge du cancer du poumon. Il faut dire que l’enjeu de l’étude est de taille : montrer qu’un traitement efficace et qui ne présente pas les effets délétères de la radiothérapie et de la chimiothérapie a été trouvé contre cette maladie.
Car ces deux méthodes s’attaquent aussi malheureusement aux tissus proches des cellules cancéreuses. La chimiothérapie altère également le système immunitaire. Elle entraîne une leucopénie, c’est à dire une baisse du nombre des globules blancs, cause d’un risque accru d’infection. Tout ceci pose particulièrement problème en cas de rechute, le patient étant déjà très fragilisé.
« La force de notre approche réside dans le fait que le traitement est hautement ciblé sur les cellules cancéreuses. Nous espérons ainsi pouvoir montrer à terme que le traitement est efficace contre le cancer du poumon tout en laissant les autres tissus intacts. »
Dr Sarah Benafif.
Si l’essai clinique s’avérait concluant, le vaccin BNT116 offrirait enfin aux patients un traitement qui ne ciblerait que les cellules cancéreuses et épargnerait les cellules saines, et qui, en prime, permettrait de prévenir les récidives de la maladie, puisqu’en recevant ce traitement les patients se verraient aussi inoculer une protection vaccinale contre leur propre cancer. En ça, il révolutionnerait le traitement du cancer du poumon.
Mais pour l’instant, il est impossible de parler de traitement révolutionnaire, seulement d’un vaccin prometteur. Seuls les résultats de LuCa-MERIT-1 puis des phases 2 et 3 à venir de l’essai clinique permettront de tirer une telle conclusion. Les chercheurs espèrent en tout cas pouvoir généraliser à l’échelle mondiale ce vaccin, s’il s’avère efficace, pour sauver des milliers de vies chaque année.
Un vaccin pour prévenir les risques liés au tabagisme ?
« Nous espérons que cet essai permettra d’améliorer encore les résultats pour les patients atteints de CPNPC, qu’ils soient à un stade précoce ou avancé. […] Nous espérons que l’ajout de ce traitement supplémentaire empêchera la réapparition du cancer, car il arrive souvent, même après une intervention chirurgicale et une radiothérapie, que la maladie réapparaisse chez les patients atteints d’un cancer du poumon. »
Professeur Siow Ming Lee.
Les chercheurs sont très clairs sur les objectifs du vaccin BNT116 : améliorer les chances de survie des patients et prévenir les récidives de la maladie. Pourtant, certains médias relayant l’information comparent ce vaccin à d’autres contre les infections, utilisés en médecine préventive afin de rendre les vaccinés résistants à des infections et de diminuer le risque d’épidémie dans une population. Il n’en est rien, ce vaccin se destinant uniquement aux patients déjà malades, pas à la population générale, et ne constituant qu’une chance supplémentaire de guérir, pas une garantie absolue.
Autrement dit, même si le cancer du poumon non à petites cellules est hautement favorisé par la consommation de tabac, ce vaccin n’aura pas pour but de diminuer le risque de survenue d’un cancer du poumon auprès des fumeurs et des autres populations à risque. Le seul moyen des fumeurs pour se prémunir contre ce cancer reste, et restera donc même si ce vaccin devait un jour être mis sur le marché, d’arrêter de fumer le plus tôt possible. Une bonne nouvelle, en un sens, car les risques du tabagisme vont bien au delà des risques de développer un CPNPC, d’autres cancers étant liés à la consommation de tabac, et fumer affectant gravement la santé cardiovasculaire.
C’était passionnant, merci beaucoup pour votre expertise